Si l’on considère que la menuiserie façonne l’ossature de l’avion, c’est l’entoilage qui solidarise définitivement cette multitude de morceaux de bois en tendant une toile par dessus comme une véritable peau.
Lorsqu’on arrive dans cet atelier reculé où flotte une enivrante odeur de colle, on est frappé d’emblée par la vision de deux silhouettes de cosmonautes estivants.
Deux couturiers de l’espace.
Manches courtes et casque intégral relié par un tube à une ceinture du futur, le premier est penché sur une aile, à quelques centimètres de son ouvrage, opérant des points de couture avec une concentration parfaite. Imperturbable et également casqué, le second découpe avec des ciseaux étonnamment petits les franges indésirables sur la parure d’une aile. Voyant la buée sur leurs visières, on s’attendrait presque, en tendant l’oreille, à les entendre respirer comme des scaphandriers à vingt mille lieues sous la mer… Et c’est précisément là qu’on remarque le silence qui règne dans cet atelier. C’est bien le seul chez Robin où l’on puisse s’entendre respirer en toute circonstance. Les deux silhouettes semblent ainsi avoir tout le calme nécéssaire pour s’appliquer sur chaque petit détail sans être dérangées. Elles sont si concentrées ces silhouettes, d’ailleurs, qu’on croirait qu’elles confectionnent une robe de mariée…
Mais justement, c’est notre présence qui finit par les arracher à leur atmosphère feutrée. On est un peu désolés de les déranger, mais on a bien envie de leur parler…
La première silhouette qui tombe le masque intégral pour le remplacer par le chirurgical de rigueur, c’est Romain.
Romain est chez Robin depuis six ans, ce qui en fait déjà presque un ancien au vu du taux de renouvellement actuel indexé à la fréquence croissante des départs en retraite. Menuisier jusque récemment, il a souhaité changer d’air à peu près au moment où son nouvel atelier changeait justement d’emplacement pour venir s’accoler à la peinture. Il y a donc retrouvé James, qui n’enlève pour sa part pas son casque en s’approchant. James, lui, a migré avec son atelier. C’est le spécialiste de l’entoilage depuis toujours. Il a été, depuis 35 ans, de toutes les aventures de Robin. Homme de peu de mots, il laisse donc Romain nous le présenter comme une force (tranquille) de la nature: « pour que la toile soit suffisamment tendue, le plus simple est de la tendre au fur et à mesure avec des agrafes, ce que moi je fais… James, lui, il tire depuis toujours la toile à la force de ses bras et en une seule fois! » Et Romain d’illustrer l’exploit en tapotant d’un doigt la voilure entoilée par James juste à côté de nous. Le bruit qui en résulte est étonnant. La toile est tendue comme la peau d’un tambour. D’ailleurs, si on tapote à différents endroits de la voilure, selon l’espacement des nervures, on a presque l’impression de jouer un solo sur une batterie complète.
On apprend au passage que la voilure et la cellule pourraient théoriquement voler sans aucun problème dès leur sortie de l’entoilage… mais pas indéfiniment, bien sûr, car sans la protection des apprêts et de la peinture, l’aile et la cellule finiraient par subir les assauts du temps.
Tout cela donne cependant une idée de l’importance de l’entoilage dans le processus de fabrication: pour faire simple, que serait un albatros sans ses plumes? Cloué au sol comme un vulgaire poulet, oui, exactement.
Mais revenons à notre duo de cosmo-couturiers. Représentation exacte de la collaboration des générations chez Robin, ils sont à eux deux le lien entre le bois et la peinture. Et d’ailleurs, il faudra bientôt qu’ils soient trois. C’est pour cela que Jordan, peintre de formation, fait régulièrement des aller-retour à l’entoilage pour se former progressivement à ce qui pourrait devenir une nouvelle spécialité. Le plus curieux dans tout ça, c’est que ce n’est pas James qui forme Jordan, mais Romain. « Il a bien appris, en peu de temps, et puis il a très vite apporté son approche du métier et des méthodes plus modernes. Il est plus à jour que moi qui fais les trucs comme un vieux » nous explique James à travers sa visière embuée. Romain, c’est vrai, a l’air de bien se plaire à l’entoilage. Il dit d’ailleurs que si les choses continuent comme ça, si la polyvalence reste la clé de voûte de la formation Robin et si l’ambiance reste aussi bonne, il se verrait pourquoi pas faire une carrière à la James.
En attendant, c’est encore James qui s’occupe du lardage de la voilure, opération particulièrement pointue qui consiste à coudre la toile aux tranches des nervures d’aile car il n’est pas possible de coller efficacement sur de si étroites surfaces. C’est occupé à cette opération que nous l’avions trouvé au début de ces lignes, c’est là que nous le laisserons dans quelques instants.
Du tissu, du fil et une aiguille, des ciseaux et de la colle, donc, mais aussi un fer à repasser. Et ce n’est même pas du luxe. La chaleur appliquée à la toile une fois collée et cousue permet de resserrer encore les mailles avant même de passer l’enduit de tension.
On comprend bien qu’il n’est donc question ni de froufrous ni de dentelles, mais bien de tailler sur mesure un véritable juste-au-corps pour l’aile, une parure tout en souplesse et dont la moindre imperfection, la moindre vaguelette est traquée et éliminée.
Ainsi et seulement ainsi le DR401 trouve-t-il cette silhouette idéale que le vent sait si bien flatter.
1 commentaire
COLIN Jean-Yves
Posté le 01/09/2021 à 17 h 21 minMagnifique article qui synthétise le savoir-faire, le travail d’équipe et la passion qui animent nos artisans français pour satisfaire les attentes de leurs clients . Bravo et succès international mérité !